D'un orchestre à l'autre

Publié le par Vivien

Finalement, je ne continuerai pas mon article sur le Hezbollah, et je vais faire un truc plus léger sur la vie culturelle à Beyrouth.

Il faut le dire, Beyrouth n’est pas une grande capitale culturelle à l’échelle internationale. Mais pour le Moyen-Orient, c’est un phare, avec de nombreux artistes, quelques théâtres et une nouvelle vague cinématographique malheureusement peu connue. L’été, de nombreux festivals sont organisés, attirant les plus grandes stars internationales, de Snoop Dogg à Goran Bregovic en passant par Deep Purple, Mika et David Guetta.

En hiver par contre, c’est moins agité. Depuis une petite dizaine d’année, il y a eu la création d’un orchestre symphonique, le Lebanese National Symphonic Orchestra. Chose marquant la fin de la période de la domination de la langue française, on a choisit l’anglais pour le nom de l’orchestre, alors que l’institution dont il dépend est le Conservatoire National du Liban.

Cet orchestre présente la particularité d’avoir en réalité deux formations distinctes, mais dirigées par le même chef. La première est L’Orchestre symphonique, qui joue des œuvres de musique classique ou européennes en l’Eglise Saint Joseph. La deuxième est l’Orchestre Arabe Oriental, jouant des thèmes ou des œuvres de la musique arabe symphonique ou « classique » dans l’amphithéâtre de mon université pour des raisons acoustiques.

Jeudi soir il y avait le concert de l’Orchestre Arabe Oriental, splendide, et vendredi, c’était le tour de l’Orchestre symphonique pour le concert du nouvel an. Les deux concerts étaient gratuits. J’aime beaucoup les deux, et si on a coutume de dire que le Liban est ce « tait d’union entre orient et occident », ou que Beyrouth est/était le « Paris du Moyen-Orient », dans les faits, j’aurais tendance à analyser cela différemment.

Premièrement, à deux orchestres, deux publics assez distincts. Pour le concert de l’Orchestre Oriental, la salle était loin d’être pleine, environ 250 personnes, d’un public reflétant grosso-modo la diversité du Liban, femmes voilées chiites et sunnites, quelques bonnets blancs de druzes, vieilles mamies chrétiennes et jeunes étudiants. En revanche, pour le concert du nouvel-an de l’Orchestre symphonique, l’église était prête à exploser, avec au bas mot 800 personnes. Mais là c’était plus « tenue correcte exigée » comme ambiance…

Ainsi, dans l’auditoire, pas une seule femme voilée, et visiblement, le concert, bien que gratuit, semble réservé à la bourgeoisie chrétienne plus francophiles que les français et plus occidental que les occidentaux. Par cela, j’entends que cette frange des chrétiens d’orient, tournés depuis le XIXème siècle vers l’occident, a une sorte de fascination pour l’opulence du modèle américain aujourd’hui, la littérature et la mode de Paris au début du siècle dernier. Il en résulte que l’on entend toujours parler français et non pas l’arabe dans Achrafieh, le grand quartier chrétien de Beyrouth…

Si auparavant, cette occidentalisation se caractérisait davantage par la fréquentation d’établissements scolaires secondaires ou universitaires en langue française, et l’appropriation d’une culture qui exerçait une réelle influence sur l’élite du Moyen-Orient, aujourd’hui, c’est davantage par la présence des productions hollywoodienne, de KFC, Pizza Hut, Burger King, Mac Donalds et de Starbucks Coffe ainsi que de 4x4 ou d’études universitaires en langue anglaise que se base le rêve occidental. D’où l’expression, « plus occidentaux que les occidentaux eux-mêmes. » Cependant, l’influence française reste toujours énorme en matière de chanson. Joe Dassin et Michel Bergé sont toujours chantés par la jeunesse dans les karaokés, ce qui relève de l’exploit.

Mais pour en revenir au concert du nouvel-an, aux rythmes ternaires pompeux et bien Viennois (comme sur France 2 le 1er janvier…), il manque tout de même quelque chose. Ainsi, il est très rare d’avoir un bis à la fin du concert. Manque de chance, le concert du nouvel an est supposé se terminer par le Beau Danube Bleu et de ce morceau où le public accompagne l’orchestre en frappant des mains. Sauf que pour cela, il faut un bis… Et sitôt le concert terminé tel qu’il est annoncé sur le papier, un bon tiers de l’auditoire se lève et sort pour ne pas avoir à subir les embouteillages à la sortie, ou bien parce que d’habitude, il n’y a tout simplement pas de bis. Les deux-tiers restant applaudissent mais s’apprêtent à partir d’ici peu, d’où la nécessaire rapidité du chef d’orchestre à revenir sur scène pour jouer la fin du concert. Pas question de frimer en coulisse et de laisser la salle applaudir plus de 30 secondes, sinon il risque de ne plus y avoir personne pour écouter.

Il faut croire qu’une partie a quand même révisé la leçon, car ceux qui restent savent exactement quand applaudir lorsque le morceau est finalement joué. A un concert du nouvel-an en France, il m’est arrivé de voir que cela tournait à la catastrophe avec un public tellement plein d’énergie qu’il applaudissait à tout va pendant le morceau, donc à Beyrouth, globalement, on a assimilé « les codes » pour assister à un tel événement culturel.

Le parallèle entre les deux concerts révèle également autre chose, notamment le rejet de l’identité et de la culture arabe par la même partie des chrétiens qui assiste au concert de l’orchestre symphonique, et pas à celui de l’orchestre oriental, comme en témoigne la différence de fréquentation et de public. Mais ça, même si c’est sous-tendu dans mon article, je ne vais pas le développer maintenant car j’en ai déjà beaucoup dit.

Voilà, je trouvais l’étude de ces deux orchestres assez intéressante en ce qu’elle révèle d’une manière plus « ludique » que les cartes confessionnelles les contradictions d’un pays aussi petit, mais toujours aussi difficile à saisir.

P.S. Si internet me le permet, je pourrai mettre une vidéo du concert oriental en ligne...
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Commenter cet article
A
<br /> C'est très intéressant comme article. J'aurai jamais pensé qu'il y aurai un orchestre symphonique où tu habites.<br /> <br /> <br />
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V
<br /> C'est pas le Tiers-Monde non plus! Enfin si, mais c'est plutôt rare au moyen-orient<br /> <br /> <br />
E
<br /> Intéressant!<br /> As-tu passé une audition avec ta trompette pour t'engager dans cet orchestre ?<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Même si j'avais eu ma trompette, je pense que l'échec était obligatoire... On parle d'orchestres professionnels de haute-volée quand même!<br /> <br /> <br />