De Beyrouth à Istanbul

Publié le par Vivien

Il était temps de se remettre à ce blog après presque un mois d’absence, mais on va dire que c’était pour la bonne cause : 10 jours de vacances en Turquie et 15 jours de tutelle parentale au Liban et en Syrie. Sans parler du travail universitaire au retour, qui me laisse quand même un peu de temps libre.

 

turquie reliefLe mercredi 31 mars, après une matinée de cours, j’avance mon départ, rentre chez moi et bourre mon sac à dos d’affaires chaudes car en Turquie, la météo paraît plus fraiche qu’ici. A 15 heures, après avoir tout soupesé et s’être contenté du strict minimum (mais vraiment minimum pour le coup…), c’est parti pour 2000 kilomètres de bus. Je me souviens d’une phrase d’un membre de ma famille qui part en vacances en vélo comme quoi, l’avantage, c’est que dès qu’on sort de chez soi, on est en vacances. Si j’ai fais le trajet par voie terrestre, au final pas tant que ça plus économique que de prendre l’avion, c’est surtout pour me rendre compte de la distance, m’arrêter, rencontrer, regarder sur le bord de la « route ». Les embouteillages interminables pour sortir de Beyrouth calment un peu mon ardeur, mais je continue jusqu’à Tripoli en minibus. De là, je cherche un taxi pour passer la frontière jusqu’à Tartus en Syrie. Je partage la mercedes des années 70 avec une grand-mère sunnite au nom de Solange et un couple de jeunes Syriens faisant leurs études au Liban. Par contre, je crois qu’ils m’auraient tués à la frontière s’ils en avaient eu l’occasion, car l’officier en charge de délivrer des visas aux étrangers ne comprenait pas assez l’écriture occidentale pour rentrer mon nom dans l’ordinateur… Qu’à cela ne tienne, je suis passé derrière le guichet et j’ai complété moi-même les cases, expliquant à l’officier que je dois payer 12 dollars de visa car je suis en transit et que demain matin je quitte la Syrie.

 

Le taxi longe la route côtière avec de la musique arabe assez forte pour accompagner le coucher de soleil et nous voilà à Tartus, la station balnéaire un peu kitsch de la Syrie. Je décide de poursuivre ma route jusqu’à Latakieh, un peu plus au nord histoire d’avancer un peu car je ne suis pas rendu à Istanbul à ce rythme, surtout si je perd des heures aux frontières. Arrivé à Latakieh, il n’y a pas grand-chose à voir, si ce n’est que sur la ville flotte un vent de liberté, assez rare en Syrie pour être mentionné. Filles non voilées, musique occidentale du top 50 mondialisé… Je dîne dans un restaurant chic car en Syrie, ça coûte moins cher qu’un Macdo en France. Il y a une grande famille chrétienne grecque-orthodoxe qui célèbre la semaine sainte (à l’époque on était juste avant Pâques) en descendant ostensiblement des bouteilles de whisky et d’arak (la boisson anisée alcoolisé locale, je ne fais pas de publicité), ce qui est relativement courant dans les milieux chrétiens en Syrie au final.

 

IMG 2137Le lendemain, départ pour la frontière Turque, comme indiquée dans mon guide de voyage. Le minibus me lâche à 50 mètres de la frontière, je suis le seul à descendre, et le poste frontière semble assez désert… (Certains remarqueront peut-être la double-faute d'anglais sur le panneau Syrien) Du coup, pas de problèmes pour les formalités et quelques coups de tampons plus tard, me voilà en Turquie. Sauf que, de l’autre côté, il n’y a rien. Enfin si, une route et des arbres. Je retourne voir le garde-frontière qui m’apprend que le village n’est qu’à 6 kilomètres, et que de là-bas je pourrai prendre le bus. Chouette, me voilà parti pour une petite marche, sous le soleil et sans rien à boire ni à manger. A part les pâtisseries et une bouteille de vin qui sont mes cadeaux pour mon hôte et ami d’Istanbul, mais on va oublier. Ceci-dit, je ne panique pas, les oiseaux chantent, le paysage est magnifique et le relief semi-montagneux fait que l’on se croirait presque en Bavière ou en Autriche. Après une heure et demie sans traîner les pieds, me voilà au village de Yagcheri où mon premier contact est un militaire, je lui demande où est « l’otogar », il m’emmène alors au comptoir de la compagnie de bus métro. Et là, je me rends compte que je suis sur une autre planète.

 

Déjà, il y a une compagnie de bus, et quand on est habitué à payer directement au chauffeur qui possède son bus ou son van en fonction de la distance que l’on a parcouru comme c’est la cas au Liban, en Syrie ou en Jordanie, ça fait un choc. L’usage de l’anglais aussi, car du militaire à l’employé de la compagnie, ça facilite beaucoup de choses. On me propose différents trajets pour atteindre ma destination, et le militaire me conseille de prendre un bus un peu plus tard, mais qui est direct car en plus, je voyagerai avec lui étant donné qu’il rentre chez lui au Nord de la Turquie. Mais ça ne s’arrête pas là, l’employé me demande où je veux me mettre dans le bus, avec un plan du bus qui s’affiche sur son ordinateur… J’avais envie de lui répondre, « tant que je suis assis » mais il insistait.

 

Je quitte le petit village à bord d’un minibus confortable, et j’arrive à Antakya ou Antioche, premier épicentre du christianisme. La ville est très agréable, on y fabrique des chaussures dans des petits ateliers mécanisés ne nécessitant que peu de personnels, je commence à comprendre d’où vient la force du « Made in Turkey », un produit de qualité et un peu plus cher que son équivalent chinois. Le militaire, il s’appelle Ahmet, m’offre un dürum döner, viande de kébab sauce tomate enroulée dans deux grandes galettes de pain, avec un thé : le nirvana. J’ai droit à une visite de la ville express avec mon nouvel ami et on file à la gare routière d’Antakya flambant neuve. Je reste stupéfait par la modernité et le confort de cette gare, ainsi que celui du bus. Il m’est arrivé de prendre des bus de loin beaucoup moins confortable au Proche-Orient mais également en Europe pour aller en Allemagne, alors là, c’est du luxe, et c’est même mieux qu’Air France. On offre à boire et à manger très souvent, ainsi qu’une sorte de citronnelle pour s’asperger et se laver les mains (un peu déroutant au début, mais on s’y fait). Le paysage défile, c’est beau, c’est moderne. Aux arrêts, (le trajet dure 10 heures pour moi jusqu’à Kayseri en Anatolie centrale, et le bus traverse la Turquie) on va boire une bière et manger un petit truc. Je goûte, pardon, j’ai l’obligation de goûter le Gözleme, galette dont je ne connais pas la composition et qui est réalité bourrée de fromage de chèvre… Tout ce que j’aime. Mais il faut bien que j’en mange une partie, au risque de déclencher un incident diplomatique avec mes compagnons de voyage (entre temps deux autres militaires sont montés dans le bus).

 

IMG 2158Arrivé à Kayseri, au milieu du pays, je trouve un hôtel bon marché un peu dégueulasse mais tant pis, je repars le lendemain matin pour la Cappadoce, à quelques kilomètres de là. Le lendemain matin, c’est la stupéfaction : il y a un tramway, tout neuf. Et cette ville paraît moderne, avec des trottoirs, des feux… Je veux aller prendre le tramway, mais un portique bloque l’accès au quai, et il faut une carte magnétique achetée dans un bureau de presse s’il vous plaît. Le rationalisme Turc est trop brutal à assimiler lorsque l’on vient d’un pays arabe, je prends donc un bus pour retourner à la gare routière où il n’y a pas besoin de carte, tant pis pour le tramway. De même la gare routière est monumentale, couverte, chauffée et bien organisée. Je prends un bus pour Göreme, où il y a une concentration d’églises troglodyte peintes du moyen-âge et des « cheminées de fées ».

 

IMG 2223Et là, c’est splendide. Les églises sont magnifiques, les paysages aussi. Le seul inconvénient est le ballet incessant des bus de tourisme qui crachent leurs groupes de touristes occidentaux rendant l’atmosphère un peu « surchargée ». Je quitte donc le site et passe une journée à marcher dans les vallons aux alentours, tranquille, seul, et c’est appréciable. Le lendemain je dois partir pour Istanbul pour être le jour d’après à temps pour le match de football de l’une des équipes phares d’Istanbul : Fenerbahçe.

 

 

 

 

La cappadoce:IMG 2241

 

Départ pour Istanbul via Ankara, la capitale, où je m’arrête quelques heures. Il y a un métro qui relie la gare routière directement au centre-ville, j’en profite donc pour découvrir un peu la ville de Mustapha Kemal, dit Atatürk (le père des Turcs). Après la première guerre mondiale, l’Empire Ottoman qui dominait le Moyen-Orient est démantelé, et les puissances victorieuses (France, Grande-Bretagne, Italie) veulent occuper et se partager la Turquie. Mustapha Kemal mène alors une guérilla et poussera les forces occupantes à se retirer, il est alors considéré comme le sauveur du Moyen-Orient. Mais il se contentera de la Turquie et se coupera des pays arabes, laissés aux mains des puissances occidentales pour quelques années de tutelle. Kemal instaure un régime démocratique sur le papier, octroie le droit de vote aux femmes en 1924 (vingt années avant la France…), instaure la laïcité, sous forme de contrôle de la religion par l’Etat plus que par séparation et pousse la Turquie vers la modernité à marche forcée. A ce titre, c’est le « mythe national » et un mausolée lui est consacré à Ankara, la nouvelle capitale dont il décida de la construction. Je me devais d’aller faire un tour dans ce lieu, et de toute façon, c’est un peu la seule chose à voir à Ankara…

 

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Et vient le moment de prendre le dernier bus, celui pour Istanbul, et là, c’est du délire. Chaque siège est énorme et dispose de son propre écran et d’un casque pour regarder la télévision Turque, écouter sa musique ou pourquoi pas regarder la route grâce à la caméra placée derrière le chauffeur. Et là encore : boissons et gâteaux servis par une sorte de « steward de la route ». Dans de telles conditions, on arrive à Istanbul en pleine forme. Et là, c’est la traversée de la frontière symbolique, l’arrivée en Europe par le pont qui enjambe le Bosphore. Istanbul est à cheval entre deux continents l’Europe et l’Asie, ce qui est normal lorsque comme cette ville d’envergure mondiale, on compte 16 millions d’habitants. 100 kilomètres avant Istanbul, les lumières des habitations deviennent continus pour vous donner une idée…

 

IMG 2365A l’arrivée, je retrouve mon ami de Bordeaux avec qui je partage une bière dans son quartier sur les bords du Bosphore, et tout d’un coup, les cloches sonnent. Il est minuit, nous sommes donc le dimanche de Pâques et les cloches de l’église grecque-orthodoxe de ce quartier de la rive Européenne nous l’apprennent. Si la Turquie est à 98% musulmanes, elle comprend toujours quelques minorités religieuses : chrétiens et juifs, la scène à laquelle on assiste est donc peu courante et l’église ne sonne pas souvent.

 

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Mon premier réveil en Europe me dévoile le Bosphore, ce détroit de mer qui relie la mer Marmara à la mer Noire. On file vers l’embarcadère pour prendre un bateau qui doit nous amener sur la rive asiatique où se trouve le stade du club de Fenerbahçe. En attendant le bateau, on assiste à une manifestation de souvenir d’une bataille militaire, aucune femme voilée et les drapeaux Turcs sont de sorties. La Turquie dispose d’une armée nombreuse, la deuxième de l’OTAN derrière les Etats-Unis (plus d’un million d’hommes) et qui est un des principaux gardiens de la laïcité dans le pays. La traversée du Bosphore est mythique, de la rive Européenne se détachent ses immenses mosquées perchées sur les collines, au loin, la mer Marmara semble être un immense champ de bataille naval, avec des dizaines, peut-être une centaine de bateaux, porte-conteneurs, cargos qui attendent de traverser le Bosphore, car il faut s’imaginer un espace pas beaucoup plus large que l’estuaire de la Loire, au trafic dense de navettes de passagers pendant la journée au milieu de supertankers. Ne me demandez pas comment ils font pour gérer cela, mais cela semble être sous contrôle.

 

manifestation des retraités/familles de l'armée:

 

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IMG 24474 heures avant le début du match, les supporters sont déjà nerveux, grignotant à la chaîne des graines de tournesols qui jonchent peu à peu le sol. On pénètre au dernier moment dans le stade, pour un problème de ticket, et là, c’est la furie. 60000 spectateurs chauffés à blanc, et qui chantent comme un seul homme. Si la Turquie s’est dans une certaine mesure séparée de la religion musulmane, il y a fort à parier pour que le football l’ait remplacée. On nage en plein fanatisme et on se laisse porter, lorsque Fenerbahçe ouvre le score. Je ne peux pas mettre en ligne les vidéos que j’ai prises, mais même la tribune présidentielle s’est enflammée et du virage où j’étais, c’était un tonnerre de hurlements, d’embrassades, de gens qui sautent n’importe où… Du fanatisme à l’état pur, et à côté la tribune Loire du FC Nantes de la grande époque ferait pâle figure. Fenerbahçe double la mise, et c’est de nouveau la folie, suivie pendant les dernières 30 minutes de slogans ininterrompues échangés entre les 4 tribunes qui se partagent les couplets des chansons à la gloire du club.

Après un tel événement, on mettra la soirée à se remettre de l’intensité du match, enfin de l’ambiance, car le jeu n’était pas vraiment exceptionnel.

 

IMG 2523Au niveau du tourisme « conventionnel », j’ai également visité les îles aux princes, à une heure en bateau d’Istanbul dans la mer Marmara. Cela a des faux airs de golfe du Morbihan, mais les îles sont bien plus belles, un poumon vert un peu à l’écart de cette ville-monde. Puis, s’il fallait retenir une seule chose après le match de Fenerbahçe, ce serait la monumentale basilique Sainte Sophie, érigée au Vème siècle et qui sera la plus grande basilique pendant mille ans, jusqu’à la construction de St Pierre de Rome. Transformée en mosquée après la chute d’Istanbul (alors Constantinople) aux mains des musulmans, ses mosaïques et ses ornements sont toujours en l’état. Après Antakya, c’est Istanbul qui fut le centre du Christianisme jusqu’au schisme entre orthodoxes et catholiques en 1054. Donc l’argument des racines judéo-chrétiennes de l’Europe pour refuser l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, car les racines du christianisme y sont justement…

 

IMG 2615Pour le côté carte postale, je n’ai pas fait les palais de sultans où les nombreux touristes du monde entier viennent admirer et aussi fantasmer sur leurs harems, ils étaient chers et de toute manière, il y a tant d’autres choses à faire à Istanbul. Je conseille néanmoins le reportage de « C’est pas sorcier » sur Istanbul, notamment pour les plus jeunes lecteurs de ce blog. Pour le trouver, c’est facile, il suffit de taper « C’est pas sorcier à Istanbul en streaming » sur google. Et ça écourtera un peu l’article qui doit, si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous faire perdre patience.

 

 

 

Sinon, Istanbul est bien la plus européenne des villes d’Europe orientale, avec une quantité assez phénoménale d’étudiants Erasmus, surtout des allemands et des français, qui viennent y passer un semestre ou une année. Il faut dire qu’en plus d’une ville splendide et agréable, son quartier nocturne est à l’image de la ville : gigantesque. Des bars et des clubs non pas à chaque coin de rues, mais à chaque étage d’immeubles ou presque. Une pinte de bière à 2 euros ou 3 maximum reste un argument imparable et la diversité des lieux de sorties également. On opta pour un bar où jouait un groupe de musique Turc « traditionnel », apte à faire danser l’assemblée, suivie par des « Balkan Beats », musique entraînante et puissante trouvant son origine dans les fanfares et la disco d’ex-Yougoslavie. Une musique variée et de qualité qui change des standards internationaux en matière de musique d’ambiance, et qui permet de passer une très bonne soirée.

 

Ensuite, j’ai quitté Istanbul après ma dernière soirée au petit matin, pour prendre un avion jusqu’à Gazientep, à la frontière Syrienne, et après avoir écrit mes cartes postales en buvant 3 thé, je devais quitter la Turquie il faut le dire, avec regrets… Ce pays m’a laissé une impression incroyable de modernité, de tolérance, d’ouverture et d’une culture singulière que je ne dirais pas non à son entrée dans l’UE, bien au contraire.

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